vendredi 5 septembre 2008

"Poppée", ou Orlane dévoilée

par Martine Dumont
Article de La Libre Belgique du 18/08/08

Troisième volet du cycle de Renaud De Putter, livré à la pure littérature Il fallait y arriver tôt ou tard : avec cinq ans seulement d'intervalle entre "Orlane" et "Poppée" (créé vendredi dernier à Seneffe) Renaud De Putter aura fait vite... Mais le voyage au fond de lui-même, l'artiste l'avait déjà entrepris bien avant, avec, en 2002, une première création-bilan : les "Chants de simplification", dans les faits très complexes, multidisciplinaires et ambitieux, comme pour mieux dissimuler l'objet recherché. En 2003, il y eut "Orlane", thriller psycho-musico-mythologique habité par les mêmes questionnements que les "Chants", mais plus simple dans la forme (majoritairement littéraire) et plus élaboré dans le contenu, le nouveau style de Renaud De Putter commençait à poindre. "Penthésilée", créé en 2007, renforça le mouvement vers le texte pur, laissant à la musique - le piano de Jean-Luc Plouvier - son propre espace, selon la forme du mélodrame.
"Poppée", le troisième volet de la série construite à rebours, remonte aux origines, à la Villa Reclose où l'Enfant s'interroge sur la disparition de son père, sur les amours de sa mère, sur la façon d'échapper à ses tantes, sur les menaces du monde qui l'entoure. Le texte est dit, comme de l'extérieur, par Aurélie Vauthrin, mise en scène par l'auteur lui-même, dont les goûts minimalistes sont finement déjoués par la comédienne, capable de glisser une puissance expressive infinie dans les mouvements corporels et vocaux les plus infimes (on songe à une partition de Scelsi). Habillée dans la première partie, celle de l'enfance, en gouvernante sévère, col montant et chignon serré dans un filet, Aurélie, profitant du départ de la mère, se changera (à vue), en enfant devenu grand, ou plutôt grande : ce sera évidemment Orlane, robe rouge et cheveux défaits, à la fois provocante et timide (mise en scène oblige), partant à la conquête du monde, c'est-à-dire subissant la loi des hommes jusqu'à devenir, dans une étrange indifférence, la Poppée d'un Néron qui n'est autre que l'amant de sa mère. Dans le rêve fictionnel de l'auteur, Orlane chante, mais on n'entendra que la voix de Marlène Dietrich, et quelques musiques de Sigfrid Karg-Elert, mêlant l'harmonium et le piano, à la manière d'un bastringue nostalgique... S'inspirant des grands classiques à la manière d'une Yourcenar, De Putter le musicien se fait ici écrivain solo, démontrant que les mots peuvent être les truchements les plus habiles, parce que paradoxaux, de la vérité.
Scènes à Seneffe, Festival d'auteurs, jusqu'au 31 août. Infos: tél. 02538 63 58 , Web www.theatrepoeme.be
CD à découvrir : "Orlane-Cabaret" de Renaud De Putter, avec Kobe Baeyens, Carine Zafirian et Jean-Luc Plouvier - Fuga Libera.

Aurélie Vauthrin-Ledent

Aurélie Vauthrin-Ledent a débuté ses études d’Art Dramatique à Censier III Sorbonne, puis au Conservatoire National de Région de Rouen. Elle est licenciée du Conservatoire Royal de Bruxelles (2006). Elle a joué dans Aglavaine et Sélysette (Maeterlinck, mes : O. Collinet), Independence (Blessing, mes : T. Robrechts), Memento (Vilar, mes : J.C. Idée), Premières Rencontres (de et par C. Degotte), La traversée de la mort (de et par J.Youssfi). Elle a suivi des stages notamment avec Farid Paya, Daniel Danis, Anne Raphaël, Yves Beaunesnes, Nicoletta Branchini. Elle a tourné dans divers court-métrages (notamment P. Conso, L. Lloyd, C. Caron, J. Dieuset, et travaux Inraci). Elle a mis en scène La rafle du Vel d’Hiv (Maurice Rajsfus).

Renaud De Putter



Portant sur la musique, le film ou le texte, le travail de Renaud De Putter s’articule autour des thèmes de l’identité et de la mémoire. Il est compositeur et ses pièces sont jouées par des ensembles et des solistes belges et étrangers. En 2002, il réalise Chants de simplification, puis, avec Guy Bordin, J’ai rêvé. Les expériences de scène jalonnent son parcours. Il associe création littéraire et musicale dans Marie T., Orlane-Cabaret, La Vie et l’œuvre du compositeur de Thier, Penthésilée.

Poppée, de et mis en scène par Renaud De Putter


Lorsque le destin de Poppée tend un miroir à celui d’Orlane. Récit des origines.

Quelque part au XXe siècle – une période troublée. La villa Reclose est une demeure isolée dans un vaste parc. Un enfant s’interroge sur la disparition de son père et développe, entre identification et répulsion, une relation dangereuse avec sa mère, liée depuis à un militaire arrogant. L’interprétation d’une pièce de marionnettes dans une propriété voisine précipite le drame. L’enfant n’existe plus. Orlane prend sa place. Orlane arrive dans une ville cisaillée de tensions politiques. Elle rencontre successivement trois hommes. Elle rejette très vite le premier. Grâce au deuxième, elle devient une actrice de théâtre adulée. Le troisième est le militaire, ancien amant de sa mère, qu’elle retrouve alors qu’il est parvenu au pouvoir. Acceptant de se compromettre, elle triomphe. Mais peut-être n’est-elle pas aussi amorale qu’il y paraît ?
À la fois récit des origines et méditation sur la pureté, le pouvoir et le dépassement, Poppée est une fable qui tisse un contrepoint entre l’antique récit de l’impératrice romaine (Tacite, Suétone), sa relecture par Monteverdi / Busenello et le destin du personnage Orlane, dont Renaud De Putter déplie les différentes facettes depuis les projets Orlane-Cabaret et Penthésilée. Orlane est un être des limbes. Elle habite les frontières. Elle est naturellement dans la transgression. Comme jadis à la croisée des chemins, lieu propice aux apparitions, sa présence fantomatique se manifeste à travers l’évocation d’arrière-plans mythiques, à la rencontre d’espaces musicaux, dramatiques et visuels ; à la confluence du rêve et de la réalité ; du présent et du passé ; du masculin et du féminin.
Vendredi 8 août à 20h30 au Théâtre du Château de Seneffe